DÉFINITIONS

Qu’est-ce qu’un Dojo?

Un Dojo n’est pas un « club » de sport. D’un point de vue étymologique, le mot « club » est un mot anglais du XIXème siècle désignant un bâton ou un gourdin (on parle toujours d’un club de golf par ex.). Le sens contemporain du terme, désignant un « regroupement de personnes » y fait certainement référence. En effet, la langue (anglaise comme française) use du même mot « masse » pour désigner à la fois un gourdin (un coup de masse ou de massue) et une foule (la psychologie des masses ou les média de masse). Ainsi, le « club de sport » est le lieu d’un entrainement physique ouvert au plus grand nombre, le plus souvent à visée de loisir, au sein duquel un pratiquant est « entrainé » par un « coach ». A l’opposé, le dojo désigne le lieu (Jo) où l’on étudie la Voie (Do) avec un sensei (celui qui est né en premier). Il n’est donc pas ici question d’un simple lieu d’entrainement (keiko-jo) mais d’un lieu dédié à une recherche individuelle qui, au travers d’un engagement physique et spirituel permanent, et par le moyen d’une transmission singulière de maître à élève, vise à la modification progressive de l’Etre global du pratiquant.
A l’origine, le terme Dojo désignait le lieu de la pratique méditative dans un temple bouddhiste. Ces salles ont par la suite été utilisées pour la pratique des budo signifiant ainsi le lien profond unissant recherche zen et pratique des arts martiaux. Au-delà de l’apprentissage d’un simple bagage technique, la pratique dans un dojo pousse donc chaque pratiquant à se confronter avec lui-même (ses peurs, son agressivité, son orgueil etc…) et à rechercher, dans son art, les principes d’une possible voie de progression dépassant ainsi de loin le simple cadre sportif de la recherche d’une performance physique.

Pour Itsuo Tsuda, « le lieu où l’on pratique l’aikido (le dojo) est sacré, non par respect moral, mais parce qu’il y règne un espace/temps différent de la vie courante. »

Maître Gichin Funakoshi est l’auteur des 20 préceptes directeurs du Karate-Do. Le 8ème précepte est intitulé: « La pratique du Karate ne saurait se cantonner au seul dojo ». Il y précise que « l’objectif du karate est de nourrir à la fois le corps et l’esprit, s’il commence au dojo, au cours de la pratique, ce travail ne doit pas s’interrompre en fin d’entrainement. Il faut pratiquer continuellement dans tous les actes de la vie quotidienne. »

Dans son livre La pratique du Karate-Do, Tsutomu Ohshima écrit: « Le dojo n’est pas un endroit où nous essayons de détruire nos adversaires ou bien où nous faisons étalage de notre force. C’est la pire des choses, ce désir très égoïste et immature de frimer devant les autres pour montrer combien on est fort. Nous devons être strict avec nous-mêmes afin de repousser ce sentiment chaque fois qu’il apparaît. Sinon, nous blessons les autres et les autres nous blesserons aussi. Et alors nous ne pourrons pas continuer à pratiquer. Si nous perdons l’esprit même qu’il doit y avoir lorsque nous nous entrainons ensemble, nous allons nous blesser mutuellement avant d’avoir pu atteindre un bon niveau. Nous avons besoin, au contraire, de pratiquer avec nos amis du dojo afin de nous améliorer les uns les autres. Voilà ce qu’est notre pratique. »

Qu’est-ce qu’un Budo?

Etymologie des sinogrammes « Bu-Do »

« Bu-do » est généralement traduit par « arts martiaux » mais signifie littéralement « la Voie de celui qui s’arrête avec sa lance ». Depuis l’époque moderne, les intellectuels japonais traduisent donc les sinogrammes Bu-Do par « Voie de la paix ». Mais, étymologiquement, si l’on se réfère au sens premier de ce terme tel qu’utilisé il y a plus d’un millénaire en Chine, « Bu » ne signifie pas « s’arrêter » mais « marcher ». Bu-Do peut donc également être traduit par « la Voie de celui qui marche avec la lance », c’est à dire « Voie de la guerre ».

Dans cette perspective, c’est le caractère Do qui vient préciser le sens de Bu. En effet, dans Bu-Gei ou Bu-Jutsu, tout le monde s’accorde pour traduire Bu par « guerre ». Pourquoi pas dans Bu-Do? Parce que Do désigne « la Voie » au sens bouddhiste du terme, c’est à dire la recherche d’un accomplissement spirituel personnel… et il ne saurait y avoir d’accomplissement par le meurtre. Car si Bu signifie « guerre », il implique donc une confrontation avec un ennemi et la nécessité de le détruire. Mais associé à Do, Bu ne peut plus devenir qu’une Voie où nous n’avons d’autre ennemi que nous-même. Ce qu’il s’agit de combattre ce sont certains aspects de notre personnalité. Budo ne signifie donc pas exactement « voie de la paix » comme il est souvent mentionné, mais plutôt « Voie de la guerre contre soi-même » ce qui est très différent puisque cela n’implique pas l’abandon du caractère martial des Budo, mais sa subordination à un but bien plus élevé que la simple destruction d’autrui. Notre interprétation du sens de Bu-Do semble partagée par Jacques Brosse qui, dans son livre célèbre L’univers du Zen, explique qu’à partir de l’ère Meiji « le Bushido était désormais sans objet, et même condamné. Il renaquit bientôt, mais sous une autre forme, le Budo. Ce n’était plus la voie du guerrier mais celle du combat contre soi-même, la voie du perfectionnement individuel. » La recherche de la paix n’est pas, dans cette perspective, l’objectif premier de la pratique. Il s’agirait plutôt d’un résultat obtenu de surcroit par l’intériorisation progressive, à force de répétition, des principes philosophiques incarnés par la technique.

Dans le livre Kendo Kata: essence and application, le maître Inoue Yoshihiko écrit: « Pour aller plus loin, « Do » ou « Voie » est considéré comme le coeur du Kendo, mais pour atteindre cette Voie, il faut d’abord en posséder les techniques de combat (Jutsu). Dans ce sens, le Shiai est plus une démonstration de Jutsu que de Do, mais c’est une étape nécessaire pour la compréhension de la vraie Voie du Kendo. (…) Cette remarque n’est pas uniquement valable pour le Kendo, mais également pour de nombreux autres arts Budo qui voient certains se concentrer sur la technique et obtenir une certaine satisfaction personnelle grâce à la victoire plutôt que de se concentrer sur les capacités à forger le caractère, semblant être sans aucun intérêt. Tout ce qui se rattache à un Do ne se résume pas aux aspects techniques, mais vise également à harmoniser l’esprit avec le corps afin que les deux forment une unité naturellement équilibrée et globale, élevant l’individu à un autre niveau de qualité humaine. »

Dans L’essence du Karate-Do, Maître Egami ne semble pas dire autre chose: « Si la pratique est régie par des considérations exclusivement physiques au début (c’est à dire l’entrainement), elle doit néanmoins embrasser progressivement le spirituel. C’est ainsi que le pratiquant découvre le véritable Karate-do: quand le corps et l’esprit finissent par ne faire qu’un. (…) L’entrainement du corps est nécessaire dans la mesure où, si vous n’êtes pas physiquement libre de toute tension ou raideur, il vous est littéralement impossible d’être sain et souple d’esprit. J’aimerais maintenant m’arrêter quelque peu sur l’ouverture d’esprit dont le débutant doit faire preuve. (…) Il n’est pas question à ce stade de remettre la forme en question ou de se préoccuper des tensions qui crispent le corps. Au contraire, mieux vaut rester naturel et concentrer vos efforts sur la recherche de l’efficacité optimale. C’est seulement ainsi que vous comprendrez que l’efficacité – offensive ou défensive – nait de la souplesse et du mouvement naturel. »

Contexte historique

D’un point de vue historique, « Budo » désigne l’ensemble des techniques guerrières ancestrales (Bugei) ayant subi l’influence de la pensée Zen au cours de la période Edo (1603 – 1868) et surtout de l’ère Meiji (1868 – 1912). La période Edo est marquée par le règne du shogun Tokugawa qui impose une longue période de paix de plus de deux siècles qui rend inutile le recours aux samurais et à leur savoir. Ces derniers deviennent alors de simples fonctionnaires et cherchent un sens à leur pratique. Certains d’entre eux, comme le maître de sabre Yagyu Munenori ou encore le légendaire Miyamoto Musashi, seront influencés par la philosophie Zen du moine Takuan Soho. Le sabre, instrument jadis destiné à donner la mort, devient un instrument de préservation de la vie et sa pratique vise désormais à atteindre l’éveil spirituel.

Durant l’ère Meiji, la caste des samouraïs est abolie et le Japon entre dans un vaste mouvement de modernisation et d’industrialisation. Le modèle économique, scientifique et politique occidental devient l’exemple à imiter dans le but de façonner la nouvelle société japonaise. Dans ce contexte pacifié, les considérations pédagogiques et éducatives deviennent primordiales. Il faut former le citoyen de demain. Un citoyen dont le caractère et les qualités seront utiles au développement du « grand Japon ». Les anciennes disciplines de combat deviennent ainsi des voies spirituelles (Bu-Do) influencées par la recherche Zen ainsi que des supports éducatifs visant à développer la droiture, l’honnêteté, l’abnégation, l’adaptation et la détermination…toutes qualités utiles au nouveau monde qui s’annonce.

Le jujutsu devient alors Judo sous l’influence de Jigoro Kano, l’aikijutsu devient aikido sous celle de Morihei Ueshiba, le kenjutsu devient kendo, le iaijutsu iaido etc. Le karate fait un peu exception puisque, n’étant pas japonais d’origine mais chinois et okinawanais, il ne faisait pas partie du patrimoine martial du moyen âge nippon. C’est Gishin Funakoshi qui, en « exportant » cette discipline d’Okinawa vers Tokyo, en modifiera la philosophie et les techniques afin de l’élever au rang de Budo.

Les Budo et le Zen

Concernant le lien essentiel unissant les Budo et la démarche Zen, le maître Taisen Deshimaru déclare dans son livre Zen et arts martiaux:

« Le Budo est la Voie du guerrier; il regroupe l’ensemble des arts martiaux japonais. Le Budo a approfondi de manière directe les relations existant entre l’éthique, la religion et la philosophie. Sa relation avec le sport est toute récente. Les textes anciens qui lui sont consacrés concernent essentiellement la culture mentale et la réflexion sur la nature du moi: qui suis-je? En japonais Do signifie la Voie. Comment pratiquer cette Voie? Par quelle méthode peut-on l’obtenir? Ce n’est pas seulement l’apprentissage d’une technique, un waza, et encore moins une compétition sportive. Le Budo inclut des arts comme le Kendo, le Kyudo, le Judo, l’Aïkido. Pourtant, le kanji Bu signifie aussi stopper, arrêter la lutte. Car, dans les Budo, il ne s’agit pas seulement de concourir, mais de trouver paix et maitrise de soi. »

« L’intuition et l’action doivent jaillir en même temps. Il ne peut y avoir de pensée dans la pratique du Budo. Il n’y a pas une seule seconde pour penser. Quand on agit, l’intention et l’action doivent être simultanées. (…) Ainsi, la tranquilité dans le mouvement est-elle le secret du Kendo, la Voie du sabre. et aussi le secret du Budo et du Zen, qui ont même gout. »

« Cela signifie que, pendant un combat, notre esprit ne doit pas être influencé par aucun des mouvements de l’adversaire, par aucune des actions de son corps et de son esprit. Notre esprit doit se diriger librement, ne pas avoir l’espoir d’attaquer l’adversaire, ni cesser d’y faire attention. On doit être complètement attentif d’instant en instant. (…) Le secret des arts martiaux disait toujours Kodo Sawaki, c’est qu’il n’y a ni victoire ni défaite. On ne peut ni vaincre ni être vaincu. Le sport et les arts martiaux sont différents. Dans le sport il y a le temps. Dans les arts martiaux il n’y a que l’instant. Par exemple, dans le baseball, le batteur attend la balle, il a le temps: l’action ne se produit pas dans l’instant. (…) Le temps s’écoule et permet de penser à quelque chose pendant un petit moment, pendant qu’on attend. Dans les arts martiaux, il n’y a pas le temps d’attendre. La victoire ou la non-victoire, la vie ou la non-vie, se décident en un instant. Il faut vivre dans l’instant: c’est là que la vie et la mort se décident totalement. »

Qu’est-ce que le Karate-Do ?

Le Karate est au départ une technique de combat, c’est à dire un ensemble complet d’attaques et de défenses. D’origine chinoise, des raisons historiques ont fait qu’il s’est développé d’abord à Okinawa, province septentrionale du Japon, avant d’être introduit à Tokyo par Maître Funakoshi au commencement des années 1920.

Le Karate-Do, « la voie du Karate », désigne une conception du Karate plus tournée vers une recherche personnelle. Les techniques du Karate deviennent, dans cette optique, un moyen, un outil de connaissance de soi influencés par le Zen. Les Japonais ont fait d’activités multiples et variées des voies de recherche de perfectionnement. Les Budo mais aussi la cérémonie du thé ou l’art floral sont ainsi devenus des « Do ».

Par la voie du Karate, le pratiquant cherche donc continuellement à s’améliorer. La progression physique et technique doit s’accompagner d’une progression mentale et spirituelle. Et cela en faisant attention de ne pas créer une dissociation entre les deux plans. Le questionnement philosophique du Karate doit naître de la recherche technique et être intimement lié à celle-ci. Rien de plus ridicule que de plaquer un vernis Zen sur un discours qui n’a aucun lien avec la technique. Ce n’est pas en proclamant que dans le Karate-Do ce qui est important c’est la philosophie que celui-ci devient philosophique. C’est la façon dont on le pratique qui lui donne ce caractère ou pas.

Un défaut courant consiste à chercher des réponses en dehors du Karate. A accumuler par exemple une connaissance philosophique et spirituelle importante mais qui n’a aucun lien avec le Karate pratiqué. Que la pratique du Karate amène à une certaine curiosité intellectuelle dans de nombreux domaines c’est normal et naturel. Mais si l’on veut que le Karate accède au rang de Voie, il faut que ce soit sa pratique qui fasse progresser le pratiquant dans tous les domaines. Donc, même si le Karate-Do est largement sous-tendu par la philosophie Zen, il est inutile d’aller chercher dans le Zen des réponses que l’on doit d’abord rechercher dans le Karate-Do.

Qu’est-ce que le Shotokai ?

Le Karaté-do Shotokai, comme tout Budo, s’inscrit complètement dans cette recherche d’approfondissement de la connaissance de soi et de l’harmonisation avec les autres. C’est pourquoi par exemple, dans la continuité des Maîtres Funakoshi et Egami, les compétitions sont toujours proscrites. Spirituellement, le Shotokai se veut dans l’esprit de Maître Funakoshi même si Maître Egami en est le véritable inspirateur. C’est en effet lui qui a initié la nouvelle technique entièrement fondée sur la souplesse. Cette souplesse est devenue une des caractéristiques majeures du Shotokai, style aux mouvements fluides, amples et relâchés mais élastiques et puissants. Ces mouvements en font un style particulièrement esthétique.

L’évolution spirituelle de Maître Egami l’amena à mettre l’accent sur la recherche d’harmonie avec le partenaire: « Tout d’abord nous devons pratiquer le Karate comme une technique de combat et puis nous arriverons, par expérience, à comprendre un certain état d’âme, à nous ouvrir à des horizons « Jita-ittai » (l’union de l’un et de l’autre) au delà du combat. C’est un principe de coexistence qui permet de vivre ensemble en prospérité. »

Le Karate sportif participe au gonflement de l’ego de ses champions, tandis que nous cherchons à réduire le notre pour avoir accès à la connaissance de notre véritable personnalité. Ces démarches sont à l’opposées l’une de l’autre. Le Shotokai est donc un style très original, certainement le plus fin des styles de Karate, ce qui en fait le style le plus adapté à une pratique féminine. Il ne conviendra pas à ceux qui recherchent une efficacité à court terme ou un Karate sportif. Il conviendra par contre à ceux qui recherchent dans les arts martiaux une voie de perfection personnelle et qui sont prêts à remettre perpétuellement en cause leurs acquis pour aller toujours plus loin dans une recherche technique et philosophique passionnante.

Qu’est-ce qu’un « dan » ?

Dans certains arts japonais comme les Budo, la cérémonie du thé (chado) ou encore l’arrangement floral (Ikebana), le degré de progression, de maitrise et d’expérience du pratiquant est comptabilisé en Dan. Littéralement, « Dan » signifie « marche » ou « étape ». Ainsi, bien que souvent sanctionné par le port d’une ceinture noire, l’obtention d’un 1er dan ne signifie pas du tout que le pratiquant maitrise son art mais, au contraire, qu’il a franchi la première étape c’est à dire qu’il a acquis les bases nécessaires au commencement de son étude. Ce n’est donc qu’à partir du 1er dan qu’il peut réellement dire qu’il débute l’étude de sa discipline. En règle générale, les Budo comptent 10 dan par école. Mais chaque école ou fédération peut disposer de règles singulières en la matière. En Kendo par exemple, la fédération japonaise ne décerne plus aucun grade au-delà du 8ème dan considérant que les conditions de vie moderne ne permettent plus d’égaler le niveau martial et culturel des maîtres du passé. De la même manière, l’école Shotokai de Karate-do ne compte « que » 5 dan. La raison en est que maître Funakoshi n’a jamais décerné de 6ème dan. Les groupes se revendiquant de son héritage (Shotokai, Shotokan de maître Ohshima) perpétuent donc cette tradition.

Dans son livre Réminiscences, Maitre Harada raconte: « L’expérience me montra qu’à l’époque les français étaient très préoccupés par les grades, ce qui m’a beaucoup surpris. C’est là une mentalité occidentale: le grade est important et non pas le karate. Ce genre d’attitude n’existe pas au Japon: j’ai vu ceci, je sais cela. Egami sensei avait un 4ème dan et pourtant moi, son élève, j’avais un 5ème dan. Ce n’est pourtant pas dur à comprendre. C’est l’homme qui est important et non pas son grade. »