LE DA CHENG CHUAN

Extrait de la revue Arts Martiaux

Wang Xian Zhaï, de son vrai nom Wang Yusheng, est né dans la province de Hébei. De santé fragile, il garda toute sa vie une silhouette fine. Il entreprit, à quatorze ans, d’apprendre le Xiangyiquan auprès d’un maître renommé de cette école, Guo Yunshen.

A la mort de celui-ci, il avait vingt ans et décida en 1907, de quitter son village natal, pour un long périple qui devait le conduire du nord au sud de la Chine. Il voulait rencontrer les maîtres de différentes écoles, afin d’approfondir ses connaissances.

Il s’installa en 1913 à Beijing. Il fut chargé d’entraîner au wushu, une unité de Yuan Shikai, qui venait de remplacer Sun Yat Sen à la présidence de la république. Ce dernier avait démissionné le 12 février 1912.

 

Huit années plus tard, il décida de partir à nouveau pour un périple.

Il séjourna quelques mois au temple Shaolin, à Henan, où il se lia d’amitié avec Benkong, un moine nonagénaire, qui lui enseigna les différentes théories sur les arts martiaux. On retrouve sa trace sur les deux rives du fleuve Yangtsé, où, poursuivant inlassablement sa quête de connaissances, il rencontra de très nombreux maîtres de différentes écoles, enregistrant dans sa mémoire, deci-delà, ce qu’il estimait être le meilleur de chacun d’entre eux. Avec Shang Yun Xiaong, il découvrit l’art redoutablement meurtrier des « cinq jeux de mains », alors qu’auprès de Liu Wenhua, c’est l’efficacité du travail des jambes qu’il apprit.

C’est la rencontre avec Cheng Ting-hua, le disciple le plus proche du fameux maître de Baquazhang (boxe des huit trigrammes), qui l’impressionna le plus, tant sa vivacité et son habileté technique étaient grandes. A Beijing, il se lia d’amitié avec les frères Yang, en particulier Yang Shaohou, une personnalité du Taiji Quan.

De tous ces échanges et des combats qu’il livra pour se tester, Wang Xian Zhaï fit une synthèse, conservant le meilleur de ce qu’il avait vu, délaissant ce qu’il considérait comme non seulement inutile, mais dangereux pour un pratiquant d’arts martiaux.

Il séjourna dans les années 20 à Shanghai pour enseigner. S’apercevant que ses disciples mettaient l’accent sur la forme du corps et les postures, au détriment de l’esprit, il nomma son école I-Chuan.

En 1940, il s’installa de nouveau à Beijing. Dans le but de promouvoir les arts martiaux traditionnels, qu’il estimait en perdition, il accorda plusieurs entretiens à la presse. Celui du journal  « la vérité » (Shibao) fit grand bruit.

Fort de son expérience et des ses connaissances acquises tout au long de quarante années de pérégrination, au nord et au sud du fleuve Yangtsé et de centaines de combat qu’il livra contre les experts de différentes écoles, afin d’expérimenter ses recherches, il avait une vision très sévère de l’état de pratique du Wushu à son époque. Il dira, en effet : « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui ait compris le vrai sens de la boxe… Beaucoup s’exercent toute leur vie sans en comprendre la quintessence… Et voici qu’à l’heure actuelle, écoles et sectes fleurissent les unes après les autres, tandis que formes et enchaînements techniques et autres méthodes surgissent à n’en plus finir. Tout cela ne vise qu’à assurer des postures élégantes, lors des démonstrations publiques. Si c’est pour divertir le public, pourquoi ne pas abandonner l’art de la boxe pour l’art du théâtre ? ».

Pour Wang Xian Zhaï, l’art de la boxe se caractérise par des techniques efficaces en combat réel. Elles doivent exprimer des principes clairs, où esprit (mental), énergie et habileté physique se combinent en une harmonie réelle et vivante. Ce qui n’a rien à voir avec des méthodes et des règles rigides et encore moins avec des enchaînements codifiés.

Il critique toutes les méthodes qui sont basées sur des théories, comme, par exemple, celle de la transmutation des cinq éléments. Il écrit : « La théorie de la transmutation des cinq éléments: métal, bois, eau, fer et terre, est absurde, ridicule. Dans un combat décisif, où tout peut se jouer en une fraction de seconde, comment peut-on prendre le temps de penser à ces stupidités ? Si on ne lance une contre attaque qu’après avoir mûrement réfléchi, on est battu avant même d’avoir pu riposter. Même un enfant le comprend. Ce qu’on doit apprendre, ce sont les principes fondamentaux et non pas les méthodes. Ceux qui apprennent les méthodes mécaniquement sont comme ces médecins médiocres, qui n’apprennent qu’à délivrer des ordonnances. Ils ne peuvent traiter que les maladies qui, par hasard, correspondent à leurs prescriptions. Face aux autres maladies, ils sont totalement impuissants. C’est pourquoi ceux qui réduisent la boxe à des enchaînements commettent une grave erreur. Il transmettent le faux à la place du vrai… »

Mais pourquoi lui demanda t-on le font-ils, si ces enchaînements sont inutiles et dangereux ? « Parce que, écrit Wang Xian Zhaï, ces gens sont ignorants. Même si on leur montrait la vérité, ils seraient incapables de comprendre. Quand bien même ils comprendraient, ils ne pourraient pas changer ces enchaînements, car ces méthodes leur permettent d’en mettre plein la vue aux autres, et ceux qui les enseignent gagne de l’argent. Mais il y a plus grave… eux même ignorent ce qu’est la boxe ! »

Ce fut vers cette époque que le nom de l’école changea pour celui de  » Da Cheng Quan « , synthèse de ce qu’il y a de meilleur dans les différentes écoles de Wushu. Wang Xian Zhaï appartient à cette race d’hommes extraordinaires, qui marquent l’histoire par leur personnalité, leurs connaissances et cette volonté d’aller le plus loin possible dans la voie choisie. Il décéda en 1963, après avoir formé plusieurs générations de disciples.

Maître Guo Guizhi